Réponse d'un con d'abstentionniste à France Inter
Le vrai piège à cons est peut-être l'absence de doute...
Sur les ondes de France Inter, une charge en direct de Thomas Legrand contre les abstentionnistes. Plutôt brillante. Un hussard noir du civisme. Démonstration imparable à la Sciences Po ou universitaire rompu à la dialectique. Le marronnier du vendredi matin avant les urnes du dimanche. La théorie classique : ne pas voter c’est renforcer son adversaire. Pas entièrement faux, ni tout à fait vrai quand on élargit la problématique. L’adversaire est-il toujours le plus visible ? Certes difficile de complexifier le propos en si peu de temps d’antenne. L’éditorialiste conclut sur le 13 novembre, pour bétonner son argumentaire. Très jolie interprétation des Suites pour culpabilisations. Habituel sermon de veille d’élections. Un tantinet plus puissant car prenant appui sur le massacre du 13 novembre. Difficile de ne pas être d’accord. Chapeau bas pour une telle efficacité. Incritiquable.
S'est-il posé la question de l’irrépressible paternalisme de certains détenteurs de la parole publique. Quelques-uns ayant même du mal à dissimuler leur mépris des gueux. Ce paternalisme détestable d'une partie des élites et des médias de ce pays. Tous les autres, ne pensant pas comme eux et ne parlant pas du même lieu, sont des cancres du bas de l’échelle citoyenne. Que des beaufs vulgaires et dénués de sens civique. De grands enfants ne comprenant absolument rien à la démocratie, imperméables aux enjeux de notre époque. Une bande d’égoïstes ne pensant qu'à leur petit confort. Faut tout leur expliquer à ces gosses... Vous avez bien lu "une partie » ? Il n’est pas écrit « paternalisme de toutes nos élites et de tous les médias ». La moindre critique des journalistes ou des politiques peut vous faire accuser de basculer dans le camp d’un célèbre papetier du Lot. Suis-je devenu en un paragraphe Poujadiste ou complotiste ? Peut-être les deux.
Cet édito de Thomas Legrand m’a rappelé aussitôt celui de Serge July et de nombreux propos tançant vertement les électeurs ayant voté «non» au traité de Maastricht. Une avalanche de dédain pour ceux ayant osé bravé le «oui». Que des rétrogrades xénophobes. Et si l’abstentionniste votait, entre autres critiques, contre le ton condescendant flirtant avec le mépris de ceux qui savent pour lui. Un ras-le-bol de la suffisance d'une partie des élites de gauche et de droite. Notamment d'un certain nombre de journalistes et de communicants péremptoires de l’info papier, numérique, audiovisuelle.... Ils prêchent en chaire médiatique. Bientôt une Sainte France Inter ou un Saint Figaro? Facile de tirer sur les abstentionnistes et les votes blancs. Plus difficile de balayer devant sa porte de l'entre soi. La porte de ce monde auquel j’appartiens d’une certaine manière. Un monde de plus en plus hors sol ?
Créer c’est résister. Cette phrase de René Char est devenue le meilleur des slogans publicitaires. Très réjouissant que les créatifs des boîtes de pub soient moins fort qu’un poète. En plus d’être un très grand poète, c’était un résistant -de son corps- contre les kalaches de l’époque nazie ; loin des terrasses du Flore et des Deux Magots. Je n’aurais sans doute pas eu autant de courage que lui. Depuis Charlie et le 13 novembre, tout le monde veut résister, en terrasse ou pas. Très louable et nécessaire de résister à la connerie ambiante et à la barbarie sanglante qui, permanente ailleurs depuis des années, s’abat depuis quelque temps dans nos rues. Mais pourquoi tout le monde devrait rejoindre le même maquis ? Marcher au pas dans une direction identique, prier tous vers la même Mecque républicaine et tricolore ? Du bon côté ou chez les salauds. Faut choisir. Voter ou être passible d’une déchéance de citoyenneté ? Plutôt rares les abstentionnistes cherchant à culpabiliser les votants. Personne n’oblige quiconque à s’abstenir.
Soit tu votes, soit tu es complice de Marine Le Pen. La ritournelle revenant à chaque élection. Avec une variante pour ces élections : le 13 novembre. L’abstentionniste deviendrait-il un allié objectif des fous de Dieu de Daesh & Cie ? Complices des tueurs du Bataclan et d’ailleurs ? Déjà ne pas être « Charlie » était quelque peu suspect. Imaginons le « jenesuispascharlie » n’accomplissant pas son devoir électoral. En plus s’il est un peu… vous voyez, disons… un peu… basané quoi. Bientôt une fiche S aussi pour les abstentionnistes ? La laïcité permet de croire au ciel ou de ne pas y croire. Et la démocratie permet de voter ou de s'abstenir. Merci à elles deux ! Et la culpabilisation ne fait gagner aucune voix. Au contraire; le citoyen français est connu pour son esprit de contradiction. En plus, il déteste qu'on lui donne des leçons de morale. Surtout de ceux qui en sont dépourvue.
La où le bât blesse un peu plus est que le journaliste - avec qui je suis assez souvent d’accord- affirme que voter blanc c’est ne rien dire. Seuls les votants auraient donc quelque chose à dire ? Voter serait donc, selon Thomas Legrand et de nombreux autres, la parole civique la plus digne d’intérêt à la portée des citoyens. Une parole résistante. Pourtant l’abstentionniste, me semble être, pour employer le mot très en vogue en ce moment, un résistant qui a des convictions. Au moins autant que ceux qui votent ou boivent un demi en terrasse. Même s’il préfère les bistrots « non votant ». Difficile de résister un tel assaut de culpabilisation nationale. Notamment des politiques (qui cela peut bien être ?) ne se souvenant de la présence des citoyens qu’en période d’élections. Comme « l’ami » ne téléphonant que pour un service à lui rendre. En s’abstenant ou en votant blanc, des citoyens témoignent aussi de leur capacité à résister. Ni plus, ni moins, que ceux qui iront voter dimanche. Pas plus cons que les autres citoyens. Aussi imparfaits et critiquables que les votants. Pas plus de xénophobes chez les abstentionnistes et les votes blancs. Et aucun électeur FN.
Une résistance contre une partie (heureusement pas tous pourris) des politiques qui, par stratégie, mise sur la montée du FN pour conserver leurs places. Ces mêmes apprentis-sorciers qui, sur le plan international, draguent l’Arabie saoudite et d’autres dictatures de sang et de pétrole. Sans doute sincèrement touchés par les victimes de Paris, nos gouvernants ont cependant participé plus ou moins indirectement à la création de Daesh. De Sadam Hussein à Kadhafi en passant par Assad (un des dictateurs apprécié des Le Pen) et les rois et princes d’Arabie, tous nos gouvernements leur ont déroulé le tapis rouge républicain et même installé une tente près de l’Elysée. Un tapis rouge sang et pétrole. L’émotion, feinte ou pas, de nos dirigeants actuels et passés, ne ressuscitera pas les victimes des terroristes. Voter pour les amis des dictateurs et de la finance ?
L’abstentionniste a, contrairement à ce qu’on assène si souvent, ne déteste pas la démocratie. Il l’aime d’une manière différente. Pas qu’un seul amour de la patrie des Lumières. «J’aimerais mieux pas », célèbre phrase de Barteleby, pourrait être intégrée à la profession de foi de l’abstention et du vote blanc. Ces citoyens et citoyennes affirmant « même pas peur de Marine Le Pen ! ». De grands cons englués dans le piège à cons dénoncé par Thomas Legrand. De plus, peut-être racistes, antisémites, sexistes, homophobes, pollueurs (cochez les autres cases)... A cause de ces abrutis d’incultes que Marine Le Pen progresse. Mais ces cons ont la mémoire des promesses non tenues. Désolé mais ils refusent d’obéir aux injonctions médiatiques, même les plus brillantes. Des cons désobéissants et de plus irresponsables. Doublement coupables de lèse urnes. Bientôt à l’amende ou en centre de désintox d’abstentionnisme ?
Athée, j’ai souvent pesté contre le peu d’antenne consacré aux libres penseurs. Une situation qui a pas mal évolué positivement, notamment sur une chaîne de radio publique. Tant mieux, surtout en cette période de retour en force du religieux. N’en déplaise à certains, les abstentionnistes restent les citoyens les plus nombreux de ce pays. D’aucuns les qualifient de majorité silencieuse. Le silence n’empêche pas de penser. Et d’envisager un monde moins pourri.
Ceux qui ne se déplaceront pas dimanche dans l’isoloir ou « blanchiront » les urnes ont aussi des idéaux, des réflexions et des doutes, des rêves aussi dignes que ceux de n’importe quel autre citoyen de ce pays. Pas que des abrutis indifférents à leurs contemporains et au devenir de la planète. Une voix elle aussi à entendre. La voix le plus souvent des citoyens, usés et lucides à force de désillusions, ayant perdu- pour de bonnes raisons- le goût du vote. Qui leur redonnera l'envie de remettre un bulletin dans une urne ?
Sûrement pas ceux qui les ont poussés dans les bras de l'abstention. Ces mêmes donneurs de leçons de civisme urgent ayant instrumentalisé le vote FN à des fins électoralistes. En tous cas, les abstentionnistes et les votes blancs ne sont pas plus fautifs que les politiques et les votants du merdier actuel. Nullement responsables de la montée du FN et désormais des Fous de Dieu. En tout cas, pas les principaux responsables de ces deux fléaux. L’abstentionnisme n’est pas non plus un jeu de jeunes et de vieux cons cherchant à se faire peur. On ne naît pas abstentionniste... Ni électeur du FN.
Peut-être que rêver serait un bon remède contre le FN. Plus de beauté, moins de cynisme des uns et des autres. Les artistes et des anonymes seraient-ils les plus capables de remettre la beauté au centre de notre époque? Une beauté que, par calcul, usure, etc, nous oublions souvent de saluer. Un fantôme croisé tous les jours. Plus j’écoute ceux qui ont la - bonne - parole permanente, plus j’ai l’impression que le silence aurait plus de choses à transmettre. Au moins aussi intéressant que nos vanités numériques et dans le monde « réel ». Radin de ne lui octroyer qu’une maigre minute, après chaque drame. Il mérite beaucoup mieux que quelques miettes de temps. Le silence plus crédible que ce billet et toutes nos interventions- pertinentes ou donneuse de leçons-sur la toile et ailleurs ? Faire à son niveau et se taire ? Proposer plus que critiquer ? Quels que soient les résultats, les votants et les abstentionnistes ont un point en commun : être vite oubliés après le deuxième tour. Trêve de digressions réinventant l’eau tiède. Comment nous sortir de ce piège national ?
Redonner du rêve commun.