Impuissance mondiale
Rien. Il appuie une deuxième fois sur l’interrupteur. Toujours rien. Il appuie encore fébrilement en pestant. Aucune lumière. Il écarte le drap et se lève avec un air mécontent. Pas la moindre tonalité sur le téléphone interne. Il se rabat sur son mobile posé aussi sur la table de chevet. Le vide au bout du fil. Il reste un instant assis, immobile dans la chambre plongée dans la pénombre. Il enfile son pantalon et un T-shirt. Où sont ses chaussures? Tant pis, se dit-il en ouvrant la porte. Aucune lumière dans le couloir. Muni de la lampe torche de son mobile, il longe le couloir. Fou de colère que lui, pas n’importe qui, soit soumis à une panne d’électricité. Impensable. Il pénètre dans la pièce de l’officier de sécurité de permanence. L’homme se lève à son arrivée. Il affiche un air soucieux.
« Que se passe-t-il? Pas une lumière ne marche. »
L’officier fronce les sourcils.
« J’attendais des ordres pour vous réveiller et… »
Il le fusille du regard.
« Je veux que ce soit réglé immédiatement! »
« C'est-à-dire que… »
« Que quoi ? »
L’officier désigne la fenêtre ouverte.
« Il fait nuit. »
« Je suis pas aveugle. Je vois bien qu’il fait nuit. »
L’officier semble chercher ses mots.
« C'est-à-dire que… Le soleil aurait dû se lever depuis plus d’une heure. »
« Vous êtes ivre ou quoi ? »
« Non.»
Il lit l’heure sur son mobile.
«C’est vrai qu’il fait plus nuit à cette heure. Sans doute juste une p’tite perturbation. On va pas en chier une pendule. Mais pourquoi l’électricité ne marche pas ? »
« Nos techniciens n’arrivent pas à trouver d’explications. »
«Vous avez qu’à enclencher le groupe électrogène en attendant que la lumière revienne dans vos têtes d’incapables. »
L’officier toussote.
Le groupe ne fonctionne pas non plus. »
Il regarde ses pieds. Les pieds nus du président des États-Unis dans la Maison blanche en panne d’électricité. Il n’arrive pas à y croire. Sûrement un mauvais rêve. Il ferme un instant les yeux et les rouvre. Toujours dans la pièce sans lumière, face à un officier de sécurité visiblement débordé. La réalité de ce matin du mois de juin 2017.
«Y a de la lumière dans la ville ? »
« Non. »
«Juste une panne. Pas la première fois que ça arrive. »
«C’est comme ça dans tout le pays. Nos alliés et les autres pays ne sont pas…»
Le président fronce les sourcils.
« Rien à foutre des autres pays ? »
« Nos équipes… »
«Silence ! Qu’on prépare des voitures pour ma femme et moi. Direction ma villa, en attendant que la situation redevienne normal. Tout doit être près dans une demi-heure.»
«Ce n’est pas possible.»
«Comment ça ?»
«Personne ne peut sortir de la Maison Blanche ni y entrer.»
«Impossible !»
«On ne comprend pas mais… C’est comme un mur. »
«N’importe quoi ! Je veux-immédiatement aller à cette porte. Personne ne peut empêcher le président des États-Unis de circuler là où il le désire. Impensable. »
Les deux hommes, flanqués de trois membres de la protection rapprochée, gagnent l’entrée. L’officier ouvre la porte et s’efface pour le laisser passer. Buste droit, le président fait un pas et s’arrête net. Il insiste. En vain. Il n’arrive pas à franchir le seuil de la porte. Pourtant aucun obstacle visible devant lui. Il passe la main sur ce mur invisible.
« Réunion d’urgence dans mon bureau ! »
Il fait demi-tour.
« Nous n’avons aucune explication rationnelle monsieur le… »
Il tape du poing sur la table.
«Vous êtes naïfs ou quoi ! Il s’agit bel et bien d’une attaque terroriste ! La plus grande attaque terroriste auquel les États-Unis d’Amérique aient été confrontée. »
Le conseiller principal à la sécurité secoue la tête.
«Quelques textos ont réussi à passer dans ce black out national. La maison Blanche, le Pentagone, la CIA et d’autres institutions de notre pays sont paralysés. Seuls les hôpitaux et les services d’urgence comme les pompiers fonctionnent normalement. Le pays est comme… »
Il l’arrête d’un geste agacé.
«Arrête ton blabla. Pas besoin d’éléments de langage et d’avoir fait une grande école pour se rendre compte que c’est une attaque terroriste. Une prise d’otages nationale. »
Il visse ses coudes sur la table et serre son menton. Il ne bouge pas. Personne de sa garde rapprochée, dans le bureau éclairé par des bougies, n’ose interrompre le silence. Les conseillers militaires échangent des regards inquiets. Première fois qu’ils sont confrontés à une telle situation. Comment expliquer que le soleil ne se soit pas levé? Quel est ce mur empêchant les entrées et sorties ? Aucune explication. Et encore moins de solutions. Complètement démunis.
«Que devons-nous faire pour réagir? »
Sa question génère un nouveau silence.
«Dans l’état actuel de nos information, je ne sais pas vraiment quoi vous répondre, murmure l’un de ses conseillers. »
Le président se lève.
« Moi, je sais. Nous allons attendre les revendications de ces terroristes. Il ne peut pas s’agir d’autre chose. Nous avons affaire à des terroristes beaucoup plus performants que ceux auxquels nous sommes habitués à combattre. Sans doute que nos services se sont un peu trop reposés sur leurs lauriers. Je vais reprendre tout ça en mains. On va voir que la première puissance du monde à des couilles. Les USA sont toujours les gagnants.»
Ses conseillers, réunis depuis l’aube, sont divisés sur le sujet. Certains persuadés qu’il s’agit d’une attaque terroriste de très grande envergure. Avec des moyens technologiques inédits. Les autres, s’appuyant notamment sur cette nuit artificielle, ont écarté toute piste terroriste. Parmi eux, les croyants y voient la main de Dieu. Ceux, plus rationalistes, semblent les plus désemparés.Tous sans réponse et impuissants.
« Si je puis me permettre… »
«Tais-toi ! Vous êtes des incapables ! Nos services de renseignement ont été incapables de prévoir cette attaque à échelle planétaire. Je vais tout prendre en charge. Désormais tout doit passer par moi. Nous sommes en guerre et je suis le chef des armées de ce pays. Je veux être tenu au courant dès qu’ils se manifestent. Nous les anéantirons ces fils de pute qui nous ont fait ça au pays. God bless América !
Il sort et regagne ses appartements.
Des heures s’écoulent dans la Maison Blanche. Tous, du petit personnel au président et sa famille, semblent paumés. Coincés et dans l’attente. Pas d’algorithme à consulter sur les écrans noirs. La première puissance mondiale impuissante.
« Monsieur le président, nous avons reçu un coup de fil des… »
Il fait pivoter son fauteuil.
« Qui sont-ils ? »
Le conseiller pousse un soupir et bredouille sa réponse.
« Tu te fous de moi ou quoi ? Fais- moi écouter ce message. »
Il lui tend son mobile.
« Ici, la Nature. Vous savez : celle qui travaille jour et nuit pour vous depuis des millénaires. Pour vous nourrir, vous faire respirer, offrir de beaux paysages à vos regards... Un boulot à temps complet pour satisfaire les habitants de cette planète. Tout reviendra à la normal si vous revenez dans l’accord de Paris et arrêter de polluer. Sinon, l’Amérique restera plongée dans l’obscurité et vous assigné à résidence. La balle est dans votre camp, cher Donald Trump. Une urgence planétaire. À bon entendeur premier puissant du monde, salut.».
La couche d’ozone surveille sa résidence.