Comme un lundi de néant

Publié le par Mouloud Akkouche

Des ressorts sombres dans la brume. Une poursuite de branche en branche. Loin, très loin, de toute l’agitation des urnes du dimanche. Pas du tout leur problème toutes ces petites guéguerres humaines. Seules les saisons, échapper aux prédateurs, engranger pour l’hiver, leur importe. Le reste n’est qu'une banale histoire de femmes et d'hommes. Personne n’en reparlera dans quelques millénaires. Mais, en attendant l’hibernation, ils offrent un ballet joyeux d’oiseaux sans ailes. Spectacle magique et vivant que personne ne peut censurer. A part les chasseurs de beauté… Le manège matinal des écureuils est un régal pour les yeux. La pénombre choisit peu à peu la lumière. Un bruit de moteur perce le silence. Le jour entame son CDI.

Retour à la radio. Aux élections. A la victoire écrasante du néant. Le plus grand vainqueur de 2015. Depuis le 7 janvier, l’impression d’une année comme néantisée. Café à la main, j’écoute les journalistes et leurs invités à la radio. Chacun cherche son coupable. Vais-je réussir à en trouver un pour me sentir mieux au moment du rasage ? Pas de ma faute. Ou pas entièrement… Moi, j’ai jamais… Où il y a longtemps… Je m’en souviens plus…. Tenter de trouver des épaules pour partager mon poids de responsabilité. Au moins en refourguer une bonne partie à un quelconque bouc émissaire. La culpabilité ? Je n’en ressens pas. D’ habitude, elle se manifeste pour un oui ou pour un non. Pas ce lundi. Peut-être en train de guérir. Moins manipulable par les vendeurs de peurs électorales, marchand du temple républicain. Si tu n’es pas sage, le Papa Noël ne viendra pas cette année. Vote pour Papa et Maman PS sinon que des méchants loups qui descendront du ciel pour pourrir ton salon. Finie donc la culpabilité postélectorale. Peut-être simplement que ma culpabilité s’est dissoute dans un corps de 65 millions de regards. Au moins la moitié du corps électoral. Un corps disloqué et à genoux. Réussira-t-il à se relever ?

Certains citoyens partent la fleur à la kalache mourir en Syrie ou dans les rues de Paname. D’autres, de plus en plus nombreux, préfèrent le djihad dans les urnes. De nombreux points communs entre eux. Les premiers caressent l’espoir de chauffer leur os, réduits en poussière, contre le corps chaud d’une vierge. Tandis que les seconds, beaucoup moins dangereux (on verra si Robert Ménard devient ministre de la Brigade Française) pour nous, courent d’urne en urne, à la recherche des promesses perdues. De grands gosses extrêmement naïfs. Tous plus ou moins attirés par une espèce de miroir aux frustrations. Des êtres réellement usés et désabusés. Un paquet de femmes et d’hommes prêts à se jeter dans les bras de n’importe quelle illusion, susceptible de les faire rêver. Peu importe le flacon, pourvu qu’il donne la sensation d’un lendemain moins pourri. Une autre vie.

Allah ou Marine? Hallal ou saucisson ? Le bulletin FN ou la ceinture d’explosifs ? Force est de constater qu’ils ne sont plus que les seuls concurrents à avoir pignon électoral sur la Place de la République. Plus que les bars d’Allah ou de la Marine ouverts sur les grands boulevards et dans les ruelles du pays. ? Pas très joyeux pour aller boire un thé ou un demi. Les dernières vitrines qui font rêver ?

Dommage que les livres ne soient pas des écureuils. Chaque détenteur d’une bibliothèque ouvrirait sa fenêtre. Des millions d’écureuil d’encre déferleraient sur nos villes et nos campagnes. Un nuage de savoir et de culture sur tout le pays. Chaque citoyenne et citoyen pourrait en attraper un ou plusieurs au vol. Profiter de tous les doutes et questions que notamment la littérature peut offrir. Pour les réponses, faut s’adresser ailleurs. Sans oublier les livres d’histoire plus qu’urgents à lire et relire en ces moments d’amnésie à 28%... Au fil du temps, le bouquin apprivoisé deviendrait un peu comme un animal de compagnie. Celui qui nous accompagne au quotidien. Sans les inconvénients de la litière qui pue ou des promenades obligatoires. Puis lui ouvrir la fenêtre pour qu’il aille éclairer plus loin.La littérature plus forte que le néant ? Un million d’exemplaires de Matin brun contre six millions de bulletins FN. Poids plume contre poids lourd de la haine et de la simplification. Combat très mal barré pour le livre. Et la culture en général.

Malgré ce constat très sombre, je reste planté devant ma bibliothèque. Comme si elle pouvait servir de bouclier à la connerie. On se raccroche à ce qu’on peut. Des années que je n’avais pas ouvert « Le Procès Verbal »de Jean-Marie Le Clézio. Un premier roman très bon, écrit dans des bars de Nice par un jeune écrivain. Ce bouquin m’avait mis une grande claque à l’adolescence. Son auteur a-t-il déjà préparé ses bagages comme il l’avait annoncé ? Partir en cas d’arrivée de Marine le Pen à la l’Elysée. Perspective de moins en moins improbable. Si elle gagne, l’écrivain rejoindra alors tous les sportifs, chanteurs, et autres milliardaires, fuyant la tornade qui cherche à éteindre une à une les lumières du pays. Certains d’entre eux ont déjà envoyé leur fric en éclaireur dans d’autres pays. Prêts à boucler leur valise. Pas tous déjà hors sol ?

« Les politiques, arrêtez de penser à votre gueule, bougez vous le cul!! Les Français en ont marre! Les jeunes sont au chômage! »Parmi ces grandes fortunes, un animateur télé s’en prend via tweeter aux politiques. A-t-il oublié sa part de responsabilité dans le vote de dimanche ? Jour après jour, il a fait de plus en plus de place dans le cerveau de nombre de ses téléspectateurs, pour accueillir la nouvelle star des urnes. Evidemment, il n’est pas à lui tout seul le grand responsable d'une forme de « décérébration nationale ». Beaucoup d’électeurs sont ses téléspectateurs. Ces donneurs de leçons cathodiques devraient balayer un peu devant la porte de leur petit commerce rapportant gros. Pas les derniers à cracher sur le pire des buzz, s’il rapporte assez d’audimat. Loin d’être le seul à flatter la bête dans le sens de l’audimat. Et à venir chialer ou se révolter quand elle commence à pointer le nez du ventre fécond- alimenté par toutes nos petites et grandes lâchetés. L’impression que beaucoup de personnages publics commencent à perdre leur sang froid. Pourquoi les en blâmer ? Eux aussi ont le droit d’avoir peur. Une trouille avec une CB qui leur permet de s’enfuir. Pleurer à distance. Se protéger des éclaboussures de boue. Loin des ratonnades et d’autres violences en suspens. La guerre des pauvres entre eux. Pendant qu'ils seront déjà dans un autre pays. Humanistes mais très loin du cambouis.

Pour nous, la majorité, le voyage sera immobile. Loin d’être immobiliste pour autant. Le monde ne s’est pas arrêté. Pas la première fois que le néant est victorieux. Déjà vainqueur depuis des années dans nos têtes et nos tablettes ? Tous ces filtres, technologiques, culturels, universitaires, cultuels, qui nous coupent parfois du réel. Ce réel qu’on ne saurait voir car nous en faisons partie. En plus pas très beau à voir. Cette réalité que le néant carnivore, avide de nouvelles contrées à conquérir, ne néglige jamais. Toujours au chevet de ceux qui souffrent le plus. Le néant conjoint de Marine Le Pen et des fous de Dieu. Grignotant peu à peu le territoire de la République. Jusqu’à être propriétaire d’un des plus grands espaces. Chassez-le par la porte, il revient par la fenêtre. La fachosphère plus efficace que l’humanospère ?

Avec la montée des fascistes (leur nom d’origine qu’ils ont tenu à républicaniser), certains sont sans doute plus vulnérables que les autres dans le pays. Ceux dont la fiche S est imprimée sur les visages. Des millions de jeunes et de moins jeunes ressemblant physiquement aux barbares ayant endeuillé le pays. Terroriste potentiel inscrit dans l’ADN des « hors-race blanche » ? Nombre d’entre eux, pas de nationalité française mais vivant et payant des impôts en France depuis des décennies, n’ont pu se rendre aux urnes. Pour qui auraient-ils voté ? Leur choix appartient au secret de l’isoloir. Mais, me semble-t-il, leurs votes auraient pu changer quelque peu la face de ce dimanche aux urnes. Français ou pas, le basané, le pâtre grec, le juif errant, sont déjà en première ligne des fusillades de regards. Pour l’instant, les plus facilement repérables dans l’espace public. Mais, plus tard, après avoir détruit le planning familial, les homo- mariés ou pas, les artistes, les… Un jour ou l’autre, chacun de nous peut faire partie de ce «Les » à abattre. Même Alain Finkielkraut et Eric Zemmour. A qui le tour ?

Où étions-nous pendant que le Front du Néant progressait dans nos rues et dans l’inconscient collectif ? Même pas peur, No Pasaran, tous unis, résister… Plus jamais ça ! Visiblement plutôt « toujours ça ! » à l’affiche républicaine des lundis postélectoraux. Comme toujours, chacun aura fini par trouver son coupable idéal. Ouf, je ne suis pas seul responsable. La faute à eux-aussi. Les politiques magouilleurs, les journalistes, les abstentionnistes, les banquiers, les… Chassez le « Les » et il revient au triple galop. Vite, accuser quelqu’un. Rassuré qu’en ayant pu désigner un responsable. En oubliant celui dans son miroir. Le miroir de notre société.

Pas besoin du GIGN et du Raid pour enfoncer des portes ouvertes. Pourquoi continuer de parler sur l’immensité de la toile ? En vain. Se répétant et égrenant parfois des inepties. Pourquoi ne pas cesser cette agitation et la fermer ? Sans doute pour ne pas se laisser entièrement néantiser par les événements. Se sentir quelque peu utile dans cette confusion à rallonges. Sûrement stupide de persister à pisser dans un violon virtuel. Une posture improductive et égocentrée. Pendant ce temps, d’autres n’enfoncent aucune porte ; ils préfèrent ériger des murs. Leur matos est d’ailleurs de plus en plus solide. La façade de leurs constructions en plus fort avenante. Qui a fourni les briques, les parpaings, la main d’œuvre ? Ce chantier a une histoire. Notre histoire.

Sinon, à part tout ça ; comment ça va ? Comme un lundi. Tu as posé tes congés pour Noël ? La nouvelle qui commence à prendre la place des chefs fait vraiment chier ! T’as raison. Et l’autre, la plus jeune de leur famille dont les dents rayent le plancher ? je crois que celle-là est pire que sa tante. Non, faut lui laisser sa chance quand même. Et à sa tante aussi. Moi, je les sens pas. Elles ont pas l’air franc du collier. Des ambitieuses qui pensent qu’à elles. Au moins, ça va changer de ceux qu’on a depuis 40 piges… Et si la tante et sa nièce sont pire que nos boss actuels ? Tu as pas pensé qu’on pouvait se taper encore pire ? On peut pas dire ça : Marine a jamais bossé dans le service. Ouais mais moi j’ai déjà vu son père à l’œuvre. Elle est pas responsable de ce qu’a fait son vieux quand même. Qu’est-ce que tu racontes ? Elle a jamais bossé avec nous ? Tu dis n’importe quoi… Elle est dans l’équipe depuis des années. Regarde un peu sur le Net. Pas née de la dernière élection. D’accord mais elle, au moins, elle vient pas de chez les richmans : tous ceux qui nous baisent la gueule depuis si longtemps. N’importe quoi ! Ta prolote vient de Neuilly sur Seine ou un bled de friqués du même genre, pareil à ceux que t’as envie de jeter de la boîte. Et elle a fait les mêmes études. T’as peut-être raison… On est encore en train de se faire baiser. Comment faire alors ? Bon, allez au taf… On nous paye pas pour refaire le monde.

Vivement vendredi !

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