Panne de siècle

Publié le par Mouloud Akkouche

 

 

          Une texte grand écart et casse-gueule? Sans aucun doute. Comparaison n'est pas raison. En effet, le premier est un assassin. Et pas le second. Le premier est un tueur sanguinaire laissant des morts et des blessés dans son sillage. Comme ses prédécesseurs barbares dans l'horreur, en France et ailleurs, il vient de faire couler le sang à Manchester. Un lâche massacreur de gosses. Les familles et les proches des victimes auraient sûrement préféré qu’elles subissent une humiliation du second : un animateur télé dans la tourmente. Celui-ci, sous couvert d'humour, se «contente» d’humilier en direct. Humiliation d’inconnus ou au sein de son équipe. Maniant le «chéri» et «je vous aime» comme une piqure anesthésiante. Pourquoi évoquer ces deux individus en même temps ? Parce que, au-delà de leur indéniable différence (le tueur de Manchester a détruit des vies), ils ont toutefois un point en commun: la négation de l’autre. Seuls quelques-uns de leurs proches bénéficiant à leurs yeux d'un statut humain. Sûrement avec un amour sincère pour leur famille et certains amis Mais «les élus de leur cœur» n’ont rien à voir avec la cible. Une cible niée comme être de chair et d’os. Juste un objectif à atteindre: touché-coulé. Deux produits de notre époque ?

     Leur jouissance, aux conséquences évidemment sans commune mesure, est liée à un même désir: jouer avec l’autre. L’autre déshumanisé, devenu un objet-jouet avec obsolescence programmée, est dédié à l’humiliation ou la destruction. Ce jouet leur permettant d’être vu, connu et reconnu. Un bref moment sanglant dans le flux de l’info ou en permanence sur les écrans. Accéder à une forme d’importance par la mort ou l’humiliation d’une victime repérée dans leur radar. L’un s’explosant de rire en blessant mentalement à coup de vannes les plus grasses possible. L’autre massacrant physiquement avec sa ceinture d’explosifs ou au volant d'un camion. Toujours en public. Deux quêtes de reconnaissance médiatique? Mais surtout le reflet de la plus importante crise de note époque : la perte de l’empathie. Une valeur essentielle. Difficile à remettre au menu guère ragoûtant du jour. Mais pas impossible. Des ateliers d’empathie pour tous âges et milieux ?

           Le premier est à combattre de toute urgence et mettre hors d’état de nuire. C'est un tueur de masse. Ne pas oublier aussi ceux, dont certains nos alliés, qui alimentent sa folie sanguinaire. S’interroger aussi sur la genèse de cette barbarie pour la détruire à ses racines. Des actionnaires en tirent-ils profit ? Ces réflexions et interrogations ne devant pas nous faire oublier que le danger urgent reste ce tueur de gosses et ses clones massacrant des anonymes dans la foule, sur toute la surface du globe. Comment trouver une solution à court terme? Même les grands spécialistes semblent complètement démunis devant cette situation. Pourtant c’est l’une des problématiques actuelles les plus importantes. Mais pas la seule à cacher l’interrupteur de notre siècle.

           Alors qu'il n'y a pas d’urgence absolue et vitale  pour le second. Un animateur télé ne tire pas sur la foule et ne pose pas de bombes meurtrières. Mais le contenu et la forme de son émission peuvent occasionner des dégâts collatéraux dans le cerveau des plus fragiles ; rendant une part d’entre eux encore plus manipulables par les obscurantistes de toutes sortes. L’humour s’arrête là où commence la haine et la violence (subie par les homosexuels piégés en direct, leur intimité livrée soudain à des millions de regards). Nombre de citoyen-ne-s, dont des jesuisCharlie battant le pavé pour le droit de rire de tout, veulent censurer ou interdire cette émission très populaire. Qui n’a pas ses contradictions ? Cependant plus facile de focaliser sur un arbre très visible du PAF. Un fusible, à mon avis plus gras et irresponsable que phobe, pétant d’ailleurs souvent les plombs tout seul en direct. Sans vouloir le dédouaner (même s’il a reconnu la violence générée par son ignoble sketch), ni son émission qui ne me fait pas rire, il est devenu l’ambulance idéale à canarder. Plus simple à dégommer que les producteurs, les politiques invités sur son plateau ou se selfisant en sa compagnie «très bancable dans les coffres et les urnes », et les annonceurs se réveillant à cause du bruit - pas de l'accusation d'homophobie contre l'animateur - pouvant nuire à leur image et surtout profits? Quant à ses fidèles et très nombreux téléspectateurs, ils sont le plus souvent catalogués à la hâte de beaufs irrécupérables et jugés sans appel. Un jugement pour évacuer la gêne et le manque d’empathie à leur égard ? Être empathique c’est aussi se glisser dans la peau de celle ou celui nous dérangeant, emprunter le regard de l’autre - étranger à nos us et coutumes -ne partageant pas du tout sa vision du monde et de l’humour. Et nous, éternels commentateurs donneurs de leçons sans solutions ; prêts à une autocritique ?

       Cette société fort peu empathique, avec entre autre ses barbares sanguinaires, ses bas du front cathodiques et au coin de sa rue, une poignée d’apprentis-sorciers fructifiant leur mise sur la connerie humaine, n’est pas sortie que du poste de télé et du Web. Très commode la fuite en avant consistant à n'incriminer que la téléréalité ou les réseaux sociaux. Chacun(e)d’entre nous est copropriétaire de ce pays. Certes beaucoup d’abstention aux réunions de syndic. Indéniable que ce siècle a du mal à sortir d’une adolescence avec une nette tendance à la violence et au décervelage. À nous de faire en sorte que sa majorité se déroule mieux. Le pari, en s’appuyant sur le meilleur (camouflé par le pire plus bruyant face caméra) de notre époque, peut-il être gagné ? Nul ne peut l’affirmer. En tout cas, il mérite d’être tenu. Comme cadeau d’anniversaire ; remettre l’éclairage sous le crâne du jeune XXI ième en souffrance ? Sept milliards d'ampoules allumées?

            Notre siècle bientôt majeur.

 

 

 

 

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