Moi, Mohamed, je rêve en français

Publié le par Mouloud Akkouche

« Le comptoir d'un café est le parlement du peuple »Honoré de Balzac.

A la mémoire des victimes de la connerie humaine,

Rêver français. Bander français. Penser français. Draguer français. Péter les câbles français. Manger et boire français. Rouler trop vite français. Pisser et chier français. Râler français. Polluer mes poumons français. Jouer aux courses français. Mauvais mari et papa français. Champion de la vanne vulgaire français. Chialer français. Bringueur français. Cancer français. Gueule de bois français. Baratiner français. Jouir français. Etc français. 57 piges en Version Française. Seule version de mon histoire d’homme. Je connais aucune autre langue. Français des pieds au cœur, des poumons aux yeux. Plus haut, la tête et tout ce qu’y a dedans, ça a jamais été mon truc. Trop fainéant pour me remplir le cerveau. Plus le truc de mes frangins et frangines qui ont fait des études. Eux c’est thèse, synthèse, antithèse, prise de thèse, et tout le schmilblick. Pas refaire le match à mon âge. Trop tard pour tenter de me réconcilier avec le dico. Fini tout ça. Le reste aussi. Plus rien d’important pour moi aujourd’hui. A part de me convertir.

Avant, j’ai décidé d’écrire cette lettre un peu spéciale. Une espèce de poème, sans queue ni tête. Pas vraiment écrit puisque je m’enregistre. Une copine va me la taper. « En fait Momo, t’aimes vachement ce pays. Sans doute plus que moi, périgourdin de chez périgourdin. Moi, je peux plus facilement lui cracher dessus. Rien à prouver. Toi, tu dois montrer patte bleu-blanc-rouge. Te justifier. Pas moi. Pourtant ce pays, tu l’as dans la peau. Il vit en toi. » C’est JF, un pote de bar, qui m’a dit ça et trouvé le titre de ma lettre. J'ai envie de parler de notre vieille complicité entre ce pays et moi. Une amitié en dents de scie, comme avec les potes. Parfois ce pays m’a gonflé. Comme moi, j’ai dû aussi le gonfler. Ça a vraiment chié plusieurs fois entre nous. Mais on s’est toujours réconciliés à l’heure de l’apéro. Peut-être plus qu’une complicité amicale. Sûrement que ma plus grande histoire d’amour c’est ce pays. La patrie de mes larmes et de mes rires. Beaucoup plus de rigolades. Une déclaration d’amour tardive à France. Et aussi à mes gosses.

Ma fille et mon fils vivent chacun avec leur mère. Au début, je voulais la garde alternée. Très mauvais plan pour eux et pour moi. Pas bon pour des gosses de vivre avec un père grand ado égoïste. Une cata annoncée. Valait mieux un peu d’équilibre, une bonne éducation. Mes deux gosses ont eu tout ça chez eux. Tant mieux. Mais je me rends compte que je leur ai pas beaucoup parlés. A part des banalités. On est un peu comme des étrangers. Étrangers du même sang. Rarement pris en vacances avec moi. De temps en temps au resto ; chacun sur son Smartphone. Réglo par contre sur les pensions et les cadeaux d’anniversaire jamais oubliés. Pour le reste, je suis plutôt nul. Cette lettre c’est pour essayer de leur parler de moi. Qu’ils sachent un peu ce que j’ai fait et comment j’ai vécu dans ce pays. Leur pays. Que moi qui peux leur en parler. Ils en feront ce qu’ils voudront. Une carte postale du monde sous le crâne de leur daron. Peut-être pas le plus beau des paysages.

Pas doué à l’école, j’ai arrêté en cinquième. De la rue à la zonzon était la voie normale pour la plupart de ceux qui traînaient avec moi. Bagarreur, super pilote de bagnoles à 14 piges, pas froid aux yeux… J’avais toutes les qualités requises pour monter au braco ou d’autres conneries de ce genre. Malgré l’insistance des potes, je suis jamais tombé là-dedans. Et je le regrette pas. Pourquoi mes potes ont basculé? Pour la caillasse, les belles fringues, les belles bagnoles… Tout ce qui brille et donne de l’importance. Surtout pour épater les gonzesses. La première était leur daronne. Regarde Maman comment je suis sapé, comme à la télé, t’as vu la bagnole garée en bas, c’est la mienne ; je t’emmène faire tes courses à Carrefour. Complètement raté car ils la faisaient chialer avec leurs conneries. Et surtout mourir de honte quand le fiston repartait menotté à l’aube, devant les voisins. Moi, ma daronne ; y a que la réussite à l’école qui l’impressionnait. Pas les bagnoles, ni ce qui tout ce qui se vendait dans les magasins. Une bonne note valait mieux que n’importe quelle virée en BM. Pareil pour mon daron. Côté gonzesses, très beau gosse et plein d’humour, j’avais pas de problème. Aucun besoin de sortir les billets pour séduire. Ma belle gueule qui m’a sauvé ?

Plutôt mes mains. Super doué pour le boulot manuel, j’ai fait plombier et électricien. Et ça me plaisait. Juste pas très envie de bosser toute ma vie pour un patron. J’ai fini par me mettre à mon compte. Dur en ce moment mais pas me plaindre ; j’ai du taf. « Fais ce que tu veux, mais fais le jusqu’au bout et bien. ». Cette phrase est le seul héritage de mon daron. Pas facile d’être à la hauteur de cet ouvrier qui a trimé toute sa vie. Jamais vu un mec aussi honnête. Aucune ardoise derrière lui. De ce côté-là, je lui ressemble : un mec droit qui n’arnaque pas les clients, cherche pas à gruger les impôts, pas une seule arnaque au compteur. Honnête comme le daron. Mais je suis pas non plus tout blanc et nickel. Quelques vices quand même. Y en a qui ont le jardinage, l’opéra, le tuning, les voyages, la beu, les musées… Chacun sa petite came pour tuer le temps.

Moi c’est les femmes, les courses, la bonne bouffe, le pinard… Bref : un bon vivant le Mohamed Abdoulani. «Toi et Jacquo, on dirait des frères jumeaux. Deux titis parisiens qui pensent qu’à jouir avant de mourir. Jacquo le poulbeau et Momo le poulbeur. ». Ce que j’aime bien chez JF c’est qu’en deux mots y te résume toute la vie d’un mec. Moi y me faudrait plein de mots et de silences pour essayer d’expliquer ce que je ressens. C’est vrai que, à part nos gueules différentes, Jacquo et moi on se ressemble vachement. Plus proches de lui que de mes propres frangins. Mon frangin de cœur.

Ma famille c’est ce rade. Je me sens chez moi au « BDS». A l’abri. Presque tout appris de la vie sur les comptoirs. Mes frangins ont lu des bouquins, moi des regards. Juste capable de lire l’histoire des canassons sur Bilto et mon horoscope Chacun son truc. Jamais ouvert un bouquin de ma vie avant 54 piges. Ce soir ou JF nous a fait un cadeau à Jacquo et moi. « Un peu votre histoire les mecs, en plus trash. ». JF nous mettait dans la merde. Que faire de cet objet inhabituel entre nos mains ? Mal à l’aise. Je l’ai planqué illico dans ma poche. Avant de payer la première tournée. Comme presque chaque soir, on a pris l’apéro à rallonges et on s’est marrés. Sans oublier de refaire le monde. On dit pas que des conneries. Le rade c’est notre Assemblée nationale de proximité. On baratine autant qu’eux. Et nos promesses pas toujours tenues. Parfois ça vole haut sur le comptoir. Des perles à hauteur de coudes.

Ce soir là, en rentrant, impossible de dormir. Je me suis affalé sur le canapé, ma main sur ma boussole à chaines. Y avait un truc qui me gênait. Le cadeau de JF dans la poche arrière de mon bleu de boulot. Je l’ai ouvert. Putain de choc. Toutes les pages avalées cul sec. Même si je l’ai toujours planqué, j’ai toujours eu un peu honte de ma vie. Rien d’autre qu’un turfiste bringueur. Les deux mères de mes gosses m’ont dit que j’étais qu’un obsédé. Elles avaient pas tort. Je suis un cavaleur. Toujours à essayer de cueillir un de ces jolis fruits accrochés aux terrasses des bistrots parisiens et partout en ville. Moi, y a que la drague et le cul qui me détendent. Avec aussi les potes, les bons repas, et la recherche du tocard rapportant gros. Mais je suis pas un arnaqueur du sentiment, genre de mec qui sort les violons. Toujours cartes sur table avec les femmes. On s’amuse ensemble jusqu’à extinction du désir physique. C’est le deal de départ. Je sais bien, les gosses, quand vous lirez cette lettre, vous serez choqués par mon attitude. Mais… mais c’est la vérité. Pas le seul mec comme ça. Avant, j’avais honte. Plus maintenant.

Grâce au capitaine qui est parti déjeuner et les marins se sont emparés du bateau. Au début, j’ai trouvé ce titre vraiment à la con. N’importe quoi. Jamais des titres aussi longs sur les couvertures. D’ailleurs, j’ai toujours du mal à m’en souvenir. Depuis, j’ai tout lu de cet écrivain. Merci à JF ! Avec ce bouquin, je me suis rendu compte que ma vie était pas si nulle que ça. Comme libéré d’un poids. « Momo t’es qu’un beauf macho et sans intérêt. Tu fais honte à notre nom. Faut que tu te fasse soigner.». La claque par texto de l’un de mes p’tits frangin. Ma première réaction a été la colère, prêt à l’appeler et l’incendier, pour qui se prenait ce branleur méprisant… Puis je m’étais calmé. J’en ai chialé. Très blessé par le regard du p’tit frangin. Et s’il avait raison au fond ? Si j’étais qu’un raté ? Rien que d’en parler, j’ai les larmes aux yeux. Touché dans mon amour propre, j’ai coupé les ponts avec lui. Une de mes frangines a essayé de nous réconcilier. Il a pas voulu faire le premier pas. Moi non plus. Les kabyles aussi têtus que les bretons ? Déjà 9 ans qu’on s’est pas revus. On se reverra plus. C’est la vie. On y peut rien.

Vulgaire. C’est ce que me reproche mon frangin et aussi le reste de la famille. Mes darons ont toujours été plus fiers de leurs autres gosses que de moi. Mais l’amour était pareil pour tous. Leur cœur a jamais fait de différence. J’ai décroché des réunions du dimanche. Avant la mort des darons, c’était chez eux. Maintenant c’est chez les uns et les autres. Leurs dimanches en famille c’est sans moi. Pas de leur monde. Je préfère l’apéro avec les potes. Dans mon rade vulgaire qui pue des pieds et de la tête, le rencard des bas du front. Sûr que, contrairement au reste de ma famille, Momo rime plus avec bistrot qu’avec Science Po. Pour autant, pas plus vulgaire que ceux qui en ont pas l’air. Eux et moi, on parle le français, mais pas la même langue. La leur mieux que la mienne et celle de mes potes ? C’est ce que je croyais avant d’avoir lu Bukowski. Pourquoi JF me l’a pas offert avant ; ça m’aurait économisé des années de honte. Grâce à ce poète, moche comme un pou et pochetron jusqu’au bout des ongles, j’ai compris que la beauté est partout. Pas que chez ceux qui croient en être proprios parce qu’ils ont un cerveau usiné dans les meilleurs écoles. Les manières et les mots qu’il faut. Bien sûr qu’ils ont aussi de la beauté. Mais la mienne à moi vaut la leur. Comme celles d’un tas d’autres gens. La beauté parle toutes les langues.

Beauté ou pas, tout ça sera bientôt fini. Plus que quelques semaines avant de me convertir. Fini mes apéros au « BDS » avec mes potes. « Le Momo qui aimait les femmes. ». C’est JF qui m’appelle comme ça. Paraît que c’est un film. Trêve de blabla : le rideau va tomber. Définitivement. Bientôt me convertir en poussière. Plus que quelques semaines Monsieur Abdoulani. Mon toubib est pas du genre à prendre des gants. Je préfère ça au baratin. Un crabe squatte mes poumons. Super bien nourri par les tabacs de ce pays. Personne est au courant, à part mes bons potes. Aucune envie d’en parler à quelqu’un d’autre. Je vais profiter du peu de temps qui me reste pour m’éclater encore. Rencard demain avec une de mes clientes, à l’hôtel. Une érection que le crabe aura pas. Et tous les autres bons moments.

Au début, JF et Jacquo ont refusé. Hors de question de me rendre ce service. Surtout JF qui trouvait mon idée sordide. Sûrement glauque mais ça fera de mal à personne. Et ça me fait du bien. « Vous dispersez mes cendres à plein de terrasses de café. En toutes petites quantités. Sur le trottoir, sous les tables. Je veux que ce soit au printemps ou en été sous le soleil. On sait jamais ; un coup de vent peut les envoyer sur la robe d’une jolie fille, un décolleté, une jambe nu… Ou dans un verre de bière ou de pinard. ». Je sais, c’est con, mais c’est comme ça que j’ai envie de partir. Là où j’ai le plus rêvé et pris du plaisir. Après tout, mes cendres sont pas plus néfastes que la pollution de Paname. JF et Jacquo ont la liste des rades où j’ai envie de me disperser. Pas au «BDS» où je paye mon dernier verre, après ma crémation. Le patron est au courant. Tournée générale en boucle jusqu’à la fermeture. Et pour la route, un exemplaire du capitaine qui a abandonné son bateau à chaque client. Patron, y s’ fait soif.

A la beauté sans frontières !

NB) Cette fiction est née d'une année 2015 très mal commencée et qui se termine sous la même couleur sombre. Très sale temps pour la démocratie et la beauté. Que nous réserve 2016 ?

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article